LES
INVITES DU COSMOPIF
N�27
(lundi 31 mai 2004)
M�diateur scientifique � la Cit� de l'Espace � Toulouse et artiste
Serge
Gracieux � la Cit� de l�espace de Toulouse Photo M.
Icard |
Le badge
personnel de Serge Gracieux. On peut y
lire en cyrillique "Serge� Gracieux", "Ing�nieur
de r�ve", "Mir" (parce qu'il adore la station russe) et
"18" (son chiffre porte bonheur). Le bassin
d'Arcachon o� est n� notre invit� appara�t
sur le fond de Terre, le tout dans un embl�me sous
forme de la coupe de la capsule Soyouz (COHO3). "On
y revient toujours", avoue Serge Gracieux� |
Qui �tes-vous, Serge Gracieux ?
Je suis n� � Arcachon en juin 1954. Mari�, p�re de
deux enfants, je travaille actuellement � la Cit� de l�Espace � Toulouse
au sein de la Direction des Expositions et du D�veloppement o� je fais de la
m�diation scientifique. J�y ai notamment eu l�occasion de m'occuper du projet
de pr�sentation de station Mir et de pr�parer une exposition sur le th�me de la
Lune en 1998, o� nous avons eu la chance d�accueillir pendant trois jours
l'astronaute John Young (Apollo 10 et 16, entre autres). Je suis l�auteur
d�un recueil de dessins qui d�crit l�aventure de l�Homme sur la Lune et je
pr�pare actuellement quelque chose d�important sur Mir.
Couverture
du recueil de dessins Il �tait une fois l'homme sur la Lune �(C�padues, Toulouse, 2001)
et dessin �
para�tre prochainement dans G�n�ration Mir
Mon parcours professionnel est plut�t atypique :
bac + 6 sans le bac, pour r�sumer.
Reprenant des �tudes tardives, j�ai r�ussi, par le
biais des �quivalences, � devenir architecte en passant par une �cole de
d�coration puis les Beaux-Arts. L�espace �tait d�j� pr�sent comme une sorte de
fil rouge � toutes ces �tapes. Je me souviens Je me souviens d�Unit�s de Valeur
sur La psychologie et le comportement de l�Homme dans l�espace. je me souviens
�galement d�avoir propos� en 1980 � Jean-Jacques Dordain (futur Directeur de
l'Agence spatiale europ�enne, alors en poste � l'ONERA) d��tre mon Directeur de
m�moire sur le th�me des stations orbitales. A l��poque, c�est moi qui �tais �
l�ESA (Ecole Sp�ciale d�Architecture � Paris) !
Pour financer en partie mes �tudes, je travaillais
chez des maquettistes professionnels parisiens comme Euromodel (qui assemblait
des fus�es Ariane) et sur des projets d�architecture comme ce qui allait
devenir la Cit� des sciences et de l'industrie de La Villette.
Architecte en 1981, la question de
l�installation � mon compte se posa dans un contexte �conomique peu favorable.
Je pris donc la d�cision, en attendant des jours meilleurs, d�ouvrir ma propre
agence de maquettes en volume. Cela dura 16 ans, durant lesquels je fus
notamment fournisseur de la Cit� des sciences (voir la station Mir et la
navette am�ricaine en haut de l��lot espace) ; le projet de la Cit� de
l�Espace de Toulouse allait bouleverser tout �a� Une des personnes de l��quipe
projet qui m�avait rep�r�, me consulta pour des petites prestations de
maquettes et, de fil en aiguille, toujours dans le cadre de mon entreprise, je
fus amen� � collaborer �troitement avec cette �quipe. Le projet me plut. Je
pris la d�cision la plus folle de ma vie : celle d�arr�ter mon entreprise
et d�int�grer la Cit� de l�espace comme animateur� Plusieurs concours de
circonstances et un peu de volont� font qu�actuellement je peux continuer �
assouvir ma passion en contact direct avec les acteurs du spatial en apportant
� la Cit� de l�Espace mes comp�tences d�architecte, sc�nographe et d�historien du
spatial.
Serge
Gracieux terminant la maquette de Mir au 1/33e (Photo Boisseau)
Les
spationautes Michel Tognini et Jean-Pierre Haigner� � la Cit� des Sciences et
de l'Industrie,
devant la
maquette de Mir r�alis�e par Serge Gracieux (Photo CNES)
Le premier d�clic est intervenu en 1962 :
c'�tait le passage des Vostok 3 et 4 au-dessus de ma t�te pr�s de Gen�ve o�
j��tais en vacances (j�ai eu la chance de rencontrer Pavel Popovitch �
Toulouse, 40 ans plus tard). La piq�re de rappel, ce fut la sortie
extrav�hiculaire d'Alexe� Leonov trois ans plus tard. Voir cet homme
"nager" doucement, flottant au-dessus de la Terre� C�est quoi le
vide ?
A
gauche : � la une de "Paris Match" en mars 1965 : la
"marche" dans le vide d'Alexe� Leonov (Col. S. Gracieux)
A
droite : quand on se prend � r�ver� (Photomontage de S. Gracieux)
A la suite de ce d�clic, j�ai
commenc� � d�vorer tout ce qui parlait d�espace. Cette passion qui �tonnait un
peu mon entourage a fait que, d�s mon plus jeune �ge, s�est tiss� un r�seau
"d�informateurs" qui me passait tel ou tel article venant enrichir ma
documentation. A 13 ans, le petit Provincial que j��tais eut l�occasion de
d�couvrir Paris, chez un oncle, qui eut la bonne id�e de lui laisser un peu de
libert�. Ma premi�re exp�rience en m�tro fut donc d�aller roder pr�s du CNES,
o� un inconnu me r�cup�ra devant la porte, m�encouragea et me fit don d�une
montagne de documentation qui tr�ne encore dans mes archives. Qu�il en soit
remerci� !
Comme beaucoup d�entre-nous �
l��poque, je construisais des maquettes sur les vaisseaux utilis�s alors. Ces
maquettes �taient pour moi le moyen de mieux comprendre leurs conceptions. Mais
rapidement ma soif de maquettes m�obligea � r�aliser avec les moyens du bord
tout ce que l�on ne trouvait pas dans le commerce. C�est ainsi que Jean-Pierre
Chapel utilisa en f�vrier 1971 ma maquette de brouette lunaire pour expliquer
ce que faisait Shepard et Mitchell sur le Cone crater ! (Ce fut
certainement mon � d�heure de gloire, fa�on Andy Warhol). Je lui avais tout
simplement exp�di�e en remerciement de documentations diverses�
Maquette du
MET envoy�e � Jean-Pierre Chapel en f�vrier 1971
Photo Serge
Gracieux
Il y eut bien sur la rencontre
avec Albert Ducrocq � qui nous devons tant, qui vint pr�senter � Bordeaux fin
1969 une pierre de Lune. J�adh�rai alors au Cosmos Club de France qui me permit
de rencontrer des gens extraordinaires et surtout des amis. De plus, je me
sentais plus int�ress� par le cot� secret des r�alisations sovi�tiques qui me
demandaient plus d�effort pour trouver des informations. J�ai pu ainsi
r�aliser, � des moments o� les informations �taient difficiles � obtenir voire
quasi inexistantes, des maquettes comme Soyouz, Saliout, Bor4, Energia,
Energia-Bourane, Mir�
La maquette
du Soyouz au 1/24e offerte � Albert Ducrocq fin 1969
Photo Serge
Gracieux
Les souvenirs spatiaux sont nombreux mais l'ann�e
1969 en comporte une certaine quantit� d�terminants : Apollo 9, 10,
11 et 12, Soyouz 4/5, 6/7/8, Zond 7, Luna 15, Mariner 6
et7, le tout sur un fond musical d�Abbey-Road ou de Zarathoustra du film
"2001�".
Le point d'orgue, c'est bien s�r
la nuit du 20 au 21 juillet 1969, ma premi�re nuit blanche o�, regardant
la Lune, je pris conscience de la port�e historique du moment.
Ensuite, c'est l'�pop�e de la
station Mir, cette formidable aventure technique et humaine, fruit d�un long
travail de patience et qui fut le premier laboratoire d�internationalisation de
l�espace.
J'ai �galement beaucoup appr�ci� les rencontres avec ces hommes et ses femmes de
l�espace (Alan Shepard, John Young, Val�ry Rioumine, Alexandre Serebrov,
Buzz Aldrin ou James Lovel pour les plus marquants) et l�amiti� li�e avec certains, notamment parmi les Fran�ais.
D�dicace
d�Alan Shepard rencontr� au congr�s Espace & civilisation
Photo NASA
Mais un
�v�nement reste grav� � jamais dans ma m�moire : ma balade improvis�e �
Houston. Juste avant l��t� 2001, nous avons d�couvert que la Pierre de Lune
expos�e � la Cit� de l�Espace s�inclinait fortement sur son support. Apr�s
quelques rapports �chang�s avec la NASA, cette derni�re nous demanda de
rapatrier l��chantillon afin de remplacer le support dans le conteneur �tanche
(sous azote). Apr�s un superbe moment dans le cockpit du 747 (mon colis
intriguait fortement l��quipage et j�adore les cockpits), apr�s avoir lou� une
superbe voiture japonaise, contourn� Houston pour foncer vers le Johnson Space
Center, je remettais mon pr�cieux colis, apr�s 20 heures de trajet. Sans
trop m�en rendre compte, j��tais dans cet autre lieu mythique pour un
passionn�, l� o� sont stock�es les 347 kg de roches lunaires encore
intactes, avec au poignet, une de ces roches r�colt�e presque 30 ans plus
t�t jour pour jour pr�s de la Faille Hadley par les astronautes am�ricains Dave
Scott et James Irwin. Cerise sur la g�teau : la soir�e familiale du
lendemain chez les Tognini.
La photo de famille de
l�astronaute Charles Duke (Apollo 16) d�pos�e � l�issue de la
troisi�me sortie, juste avant de quitter la Lune le 23 avril 1972.
Tout simplement parce que derri�re l��norme machine industrielle d�Apollo, il y
� l�humain et ses sentiments. J�aime � trouver du c�ur dans la technologie.
Photo NASA
Sans h�sitation, je choisis le
Soyouz, avec un faible pour la premi�re g�n�ration (1 � 9) avec son important
m�canisme de jonction � l�avant, ses panneaux solaires en accord�on, son
r�servoir torique � l�arri�re, son mat d�antenne baroque � souhait et surtout
les rideaux du compartiment orbital dignes de la m�nag�re des ann�es 60. Un
vrai r�gal, voire une passion chez moi !
Vue
d'artiste du Soyouz 4 autour de la Terre en janvier 1969
DR
Tout a �t� dit
sur Gagarine. Son sourire, sa gentillesse. Cet homme de 27 ans, qui fut
transform� en ic�ne nationale, v�ritable ambassadeur d�une URSS triomphante,
mais qui eut surtout le privil�ge d��tre le PREMIER. Le premier � oser
s�aventurer sur cette nouvelle machine, le premier � d�couvrir la Terre dans sa
beaut� impalpable, le premier � d�couvrir les sensations de l'impesanteur, le
premier � pouvoir t�moigner que l�Homme pourrait quitter son berceau et partir
explorer notre vaste Univers.
Les hommages pr�sent�s ici sont
remarquables et il m�est difficile de rajouter quelque chose. Pour ma part, je
pr�f�re laisser Gagarine nous raconter son retour*. Le seul effort intellectuel
n�cessaire � cette lecture est de tenter de se replacer dans le contexte de
l��poque : il �tait le PREMIER !
"Lors du retour dans l�atmosph�re, il me sembla que je
constituais un corps de balais � moi tout seul. Ma t�te et mes pieds pivot�rent
rapidement. J�aper�us d�abord l�Afrique, puis l�horizon, puis le ciel. Je pris
garde seulement � prot�ger mes yeux du Soleil. Une intense lumi�re pourpre
apparut sur les bords de la partie ombr�e de la Terre. Je ressentais les
oscillations du vaisseau, en m�me temps que la chaleur du bouclier thermique.
Je l�entendais ostensiblement se craqueler, soit parce qu�il se fissurait, soit
parce qu�il se dilatait en s��chauffant. Je sentais que la temp�rature �tait
�lev�e. Puis l�acc�l�ration de la pesanteur commen�a � s�accro�tre, atteignant
peut-�tre une dizaine de G. Pendant un moment, long de deux ou
trois secondes, les instruments devinrent comme fous. Tout sembla virer au
gris. Je fis de gros efforts pour continuer � voir.
[Gagarine est �ject� du Vostok.]
Je ne sentis m�me pas le contact avec le sol et je ne
r�alisai m�me pas que j��tais d�j� debout sur mes jambes, que cela signifiait
que j��tais vivant et sans aucune �gratignure."
In The Space Race (Reader�s Digest, 1999)
Youri Gagarine est l�, au d�tour des pages de nos livres,
souriant aux habitants d�ISS apr�s avoir �t� pr�sent sur Mir pendant
15 ans, dans nos c�urs mais surtout dans l�esprit des femmes et des hommes
pour qui il a d�frich� la route. L�esprit de Gagarine est toujours parmi nous.
Images de
Gagarine modifi�es en ic�nes par Serge Gracieux
Mir, 15 ans de ma vie.
- c�est un apr�s-midi d��t� � Arcachon o� 4 grands
gar�ons essayent autour de croquis, de comprendre comment s�assemblent et se
d�placent les modules compl�mentaires. L�un d�entre eux, Sergue�, conna�tra la
fin de l�empire sovi�tique � bord de Mir,
- c�est un lundi matin, dans le silence d�une Cit� des
Sciences qui s��veille, le montage de ma maquette de Mir,
- c�est cette m�me maquette, plusieurs ann�es plus tard
� Bordeaux, qui conna�t sa premi�re jonction avec la navette avant de reprendre
la route de Paris,
- c�est l�annonce dans mon autoradio, la veille de
l�ouverture de la Cit� de l�espace, de l�accident du Progress, moment o� j�ai
compris que nous aurions Mir � Toulouse,
- c�est un matin glacial pr�s de Bordeaux, l�arriv� du
bateau de Saint-P�tersbourg de notre mod�le de Mir,
- c�est le passage de Mir pr�c�d�e de la navette
au-dessus de nos t�tes le soir des 40 ans de Spoutnik,
- c�est le court dialogue avec Jean-Pierre � bord de
Mir depuis le CADMOS,
- c�est cette fin de Mir, inexorable, presque
impensable, v�ritable drame pour les vieux de l�URSS mais men�e de main de
ma�tre par les Russes,
- ce sont les milliers de mots, de t�moignages de ces
104 femmes et hommes qui ont visit�, s�journ�, travaill�, aim�, r�v�,
souffert dans ce "bordel magnifique",
- ce sont les milliards d�octets d�images ou de film,
vus, revus, analys�s, d�cortiqu�s, qui me rendent cette maison si famili�re que
je crois presque y avoir v�cu !
Le soir, je l�ve la t�te et regarde le ciel. Mir est encore
l�. Elle passe encore...
Peut-�tre est-ce dans ma t�te ?
Tout d'abord, je r�ve d'assister �
un lancement ! Et oui, je n�ai toujours pas �t� sur une base de
lancements, malgr� 4 tentatives malheureuses� En f�vrier 1971, mon charter
pour Apollo 14 est annul� � trois jours du d�part, tandis que Jean-Pierre
Chapel m'attend � Cap Kennedy pour me faire visiter le site "en
journaliste". 8 ans plus tard, je me dis que le premier vol d'Ariane
m�riterait bien d'aller faire un tour en Guyane mais je n'arrive pas �
collecter les fonds n�cessaires. En novembre 1988, j'accompagne un groupe de
Fran�ais � Moscou � l'occasion du vol longue dur�e de Jean-Loup Chr�tien mais
nous sommes priv�s de visite de la Cit� des �toiles et de retransmission du
d�collage depuis le Tsoup pour laisser la place � une �ventuelle visite du
Pr�sident Mitterrand qui ne vint jamais. En 1996 enfin, j'esp�rais assister au
premier lancement d'Ariane 5 mais le plan B que j'imaginais n'a pas
fonctionn�
Mais Christian Lardier m�a rapport� de la terre de
Ba�konour !
Une fois ce r�ve accompli, j'aimerais
pouvoir placer les dirigeants de la plan�te dans une station afin qu�ils
d�couvrent la Terre, sa beaut� et surtout sa fragilit�. Je sais, c�est un peu
simpliste, mais je crois que cela marcherait et que cela limiterait les erreurs
futures. C�est un r�gal d��couter ces hommes et ces femmes qui ont eu le
privil�ge de d�couvrir notre plan�te de l�-haut. Parfois, on dirait des gamins
qui vous parlent de leurs jouets de No�l. Malgr� toutes les critiques que nous
entendons �� et l�, la conqu�te de la Lune nous a paradoxalement apport�s ce
regard sur la fragilit� de la Terre. Merci Monsieur Kennedy !
Le 4 octobre 2007 � la Cit� de l'Espace
� l'occasion de l'inauguration de l'exposition Cosmomania
Photo Didier
Capdevila
Merci, Serge Gracieux !
La semaine
prochaine (lundi 7 juin 2004) : Frank De Winne